Livre : De Nuremberg à la loi Huriet – 2002

La constante qualité de cette collection est remarquable

Cette fois, l’ouvrage rapporte un dialogue de haute tenue entre philosophes et médecins à propos de l’éthique de l’expérimentation sur la personne humaine. Du code de Nuremberg (édicté en 1947 en conclusion du procès des médecins nazis) aux textes en vigueur aujourd’hui, il nous donne à voir clairement, à la fois la permanence du souci éthique (puisque nombre des idées essentielles sont déjà énoncées en 1947) et la progression dans l’ordre juridique (puisque l’on passe des préconisations morales aux prescriptions et interdictions légales).

L’ouvrage est d’une évidente actualité. Il rassurera ceux qui pourraient penser qu’aujourd’hui médecine et recherche sont livrées sans recours aux Dr Folamour. Le propos n’élude pas les implications financières et économiques de la démarche éthique. Par exemple, un interlocuteur dénonçant les dérives de la médecine libérale anglaise, Claude Huriet le reprend avec une mordante sobriété : « médecine non pas libérale, mais médecine du libéralisme ».

L’une des forces du livre est de nous montrer que la barbarie médicale du XXe siècle ne fut pas seulement le fait de quelques psychopathes. Dans son ensemble, le corps médical allemand approuva et appuya l’épuration raciale ; il fut la corporation la plus représentée dans le parti nazi (un médecin sur deux en fut membre) ; un des plus zélés médecins nazis était président de la Croix-Rouge allemande ! Et le totalitarisme soviétique eut aussi ses complices médicaux, psychiatres ou autres. Aux USA, on mena longtemps après 1945 des « expériences » du même type et souvent d’ailleurs avec des médecins nazis recyclés.

En France… si l’on a récemment déboulonné l’eugéniste prix Nobel Alexis Carrel, un autre nobélisé, Charles Richet, donne encore son nom à quelques hôpitaux alors qu’il prônait lui aussi l’élimination des anormaux. Quant à l’administration de « l’Etat français », des directeurs d’hôpitaux aux éminences du Conseil d’Etat, elle se montra majoritairement docile et 40 000 malades mentaux moururent de faim dans nos asiles d’aliénés !

La réflexion doit donc être toujours réactivée pour consolider les digues qui tentent de confiner les horreurs des comportements humains. Claude Huriet rappelle qu’après la déclaration de Nuremberg, il y eut celles d’Helsinki (1964), de Tokyo (1975), de Manille (1981) et de Venise (1983). Il signale à ceux qui, aujourd’hui, critiquent le formalisme encadrant le recueil du « consentement éclairé », que cette notion s’imposa de longue lutte, entre l’hostilité de ceux qui voulaient « faire le bien du malade malgré lui » et ceux qui ironisaient en mettant en avant cas d’espèce et cas limites.

André Comte-Sponvile nous donne une interprétation profonde de l’expression courante « la médecine est un art ». Il y voit bien davantage qu’une survivance du temps où elle n’était pas une science, et même plus que la simple reconnaissance de sa subjectivité. L’Art tient au fait que la médecine reste heureusement normée, définie de l’intérieur par une finalité intrinsèque à la médecine mais extérieure au médecin. « Aucune science n’a besoin d’humanisme ; aucune médecine ne peut s’en passer. » Pour régler la polémique qui oppose tenants et adversaires de la « démocratie sanitaire », il a ce raccourci vigoureux : « La confiance fait partie des vertus du patient, la vigilance des vertus du citoyen. Colloque singulier d’un côté ; débat public de l’autre. »

Yves Ternon nous explique comment, à la fin du XIXe siècle, la naissance de la « pensée biologique » supplanta la démarche éthique dès lors que l’être humain ne fut pas perçu comme un tout unique et inviolable, mais comme une cellule du corps social. Là fermenta le terreau des atrocités médicales du siècle suivant.

par David KHAYAT et alii
Collection Santé & philosophie Editions Le Bord de l’Eau
B.P. 61 – 33360 LATRESNE novembre 2002, 158 pages, 14 €