Edito DH n° 114 septembre 2007 : Le poids des mots

Un pédophile, à peine sorti de prison, commet une nouvelle récidive : voilà de quoi, en ce creux d’été, relancer une machine médiatique oscillant jusqu’alors entre une énième considération climatologique et quelque mordillante allusion aux vacances New-Hampshiroises du chef de l’Etat…

Dans le flot d’indignation plus ou moins sincère, un vocable revient : hôpital-prison. Qui l’a employé le premier ? Un journaliste en mal de sensation ? Un politique en début de campagne ? Difficile d’en retrouver la paternité, tant la commensalité entre ces deux espèces est étroite et réciproque. Le Président puis ses ministres utiliseront ensuite l’expression moins rugueuse d’hôpital fermé.

Nous n’allons pas prétendre engager ou plutôt relancer sur un coin de table le grave et difficile débat entre crime et déviance pathologique, entre codes pénal et de la santé, entre répression et soin, entre neutralisation des auteurs trop réels et protection des victimes potentielles, entre responsabilité personnelle et abolition du discernement. Comment les distinguer, les combiner et surtout éviter la confusion ?

Nous plaidons simplement pour qu’on n’utilise pas légèrement certains mots chargés de sens et qu’on ne les juxtapose pas inconsidérément. Hôpital – prison ! L’institution psychiatrique a mis des décennies de travail patient, de pédagogie, d’efforts obscurs, à se libérer de l’image asilaire, d’une connotation d’enfermement pur et simple. Patatras, tout serait donc à recommencer ?

Mais d’abord que veut-on ? Un hôpital-prison entièrement voué aux malades-criminels sexuels ? Un pédophilarium en somme, qui ne susciterait aucune réaction alors que l’incongruité d’un Le Pen réclamant des sidatoriums en 1986 avait à juste titre soulevé d’indignation l’intelligentsia comme le monde médical ? Ou simplement créer au sein d’établissements de santé mentale des unités dédiées ? Or 17 unités d’hospitalisation spécialement aménagées sont déjà en chantier… Ou surspécialiser certaines de ces UHSA, pour les réserver aux seuls prédateurs à enfermer et non à toutes les gradations de déviances sexuelles ?

De tout cela on peut certes discuter raisonnablement, calmement ; il est même possible, soyons positifs, que soient prises au bout du compte des mesures pertinentes. Alors, pourquoi avoir commencé par lâcher ces mots qui font balle « hôpital-prison », « hôpital fermé », et meurtrissent à bout portant les conquêtes psychothérapiques des dernières décennies ? Déformation professionnelle d’acteurs politico-médiatiques, ces « hommes qui vivent dans un monde où les mots ont le poids de l’hélium [1] » ?

Nombreux sont ceux qui signalent que cette triste affaire révèle surtout, une fois encore, un manque de moyens. La réclamation quantitative sert parfois d’échappatoire commode ; tandis que là l’insuffisance criante de la politique carcérale fut souvent dénoncée, par exemple par l’abbé Pierre, qu’on a embaumé sans peut-être assez l’entendre…

Mais déjà le débat est relancé sur un autre plan par le titulaire de la magistrature suprême, pour lequel un procès pénal doit avoir lieu quand bien même le prévenu serait psychologiquement irresponsable, afin qu’en quelque sorte s’accomplisse un amer travail de vengeance. Après la « dictature des juges » qui affolait tant certains politiques, la « dictature de l’émotion » qui en arrangerait d’autres ? Après les jeux de la campagne électorale, les jeux du cirque avec quelque fou jeté à l’opinion, cet autre fauve ?

Décidément, quelque chose de préoccupant s’infiltre dans le discours tribunitien. Car on peut relever plusieurs occurrences récentes de l’utilisation maladroite – ou trop habile – de mots plombés qui viennent malencontreusement – ou à dessein – fausser, orienter, dévier des débats pourtant utiles ou nécessaires : « franchise » pour le reste à payer des assurés sociaux ; « autonomie » pour les universités, les étudiants et les chercheurs ; ou encore, sur un mode mineur, ces établissements stigmatisés de « difficiles » pour motiver l’attribution à leurs directeurs d’une prime tout autant légitime que celles des PH pour activité multisites ou service public exclusif, mais qu’à cause de cette erreur d’appellation des syndicats contestent, sans déployer en la circonstance une excessive perspicacité.

Si certaines réalités constituent des problèmes de société durables… c’est qu’elles résistent durement aux dispositifs déjà mis en œuvre : afficher un peu trop d’adresse dans leur traitement verbal peut faire un jour tomber le funambule. Jouer avec les mots ? Faux pas …

PS : Oublions ces noms communs un peu déprimants et retenons un grand nom propre, que nous suggérons aux hospitaliers d’usiter s’ils ont prochainement l’occasion de dénommer un nouveau bâtiment ou service : celui de Snejana DIMITROVA, cette extraordinaire infirmière bulgare, venue en Libye pour soigner ses semblables, emprisonnée par des individus un peu plus pervers encore qu’un misérable pédophile. Persécutée et torturée. Mais ne s’effondra pas …

 


[1] Yasmina Reza – L’aube le soir ou la nuit -Flammarion