Edito DH n° 99 janvier 2005 : Mondialisation et médiatisation

Le raz-de-marée de l’Océan indien est porteur, au-delà de la catastrophe épouvantable qu’il a provoquée, de plusieurs leçons pour nos sociétés, pour ceux qui les dirigent et pour les simples citoyens que nous sommes.

Tout d’abord, il constitue l’illustration effroyable mais parfaite que tout fait majeur de la vie humaine ou sociale est un nœud de complexité, revêt une multiplicité d’aspects, de dimensions et d’approches. Donc qu’il se dérobe à l’analyse manichéenne, rudimentairement dualiste voire binaire.

Ainsi, depuis des années, une fraction agissante de l’intelligentsia, des milieux politiques, syndicaux et associatifs dénonce la mondialisation. Mondialisation des sphères de production et d’échanges, des biens et des services, des consommations et des cultures. Culture : cette uniformatisation est peut être celle qui suscite la plus vive irritation dans le village global, au nom de la juste défense des identités et valeurs. Or, face au cataclysme qui vient de survenir, il apparaît que le brassage des cultures et surtout de l’information a favorisé, indéniablement, l’immense mouvement de solidarité spontanée, absolument sans précédent, qui s’est emparé de la plupart des pays, des peuples, des citoyens et des organisations sociales : riches ou pauvres, laïcs ou confessionnels, politisés ou non. C’est là un signe nouveau, sans doute durable et marquant dans la réponse de la Terre des hommes aux humeurs de la Terre géologique.

Bien sûr que les acteurs économiques de la mondialisation ne sont pas pour grand-chose dans cet élan de solidarité, en tout cas pas tous ! Et que la mondialisation compassionnelle qui vient de surgir ne les acquitte pas, eux, de leur stratégie à courte vue et de ses brutalités. Il n’empêche : les chapitres de l’histoire s’écrivent par bloc indivisible, amalgamant le positif et le négatif, le progrès comme la violence. Tout refuser pour ne pas choisir c’est renoncer à l’action. Ne voir que l’aspect noir ou le côté blanc de tel épisode historique, c’est faire l’ange ou alors la bête.

Le deuxième élément auquel il faut méditer à propos du tsunami, c’est comment le débat démocratique s’est élevé malgré les digressions, exagérations pour ne pas dire diversions d’une partie de l’appareil médiatique. Là, rien de nouveau ni surprenant : à chaque fois c’est pareil ! On a droit quotidiennement à une nouvelle « polémique », ainsi baptisée par ceux qui feignent de la découvrir et se borner à en rendre compte, alors qu’ils l’ont fabriquée ou enflée. Il faut, n’est-ce pas, ajouter du piment à l’information factuelle…

Sauf que là, ça ne passe plus ! La différence est tellement incongrue, dérisoire, entre l’immensité de la tragédie et la petitesse des critiques, entre la réaction globalement efficace de la plupart des responsables et les carences qu’on leur attribue, entre l’attitude irréprochable du ministre et les arrière-pensées qu’on lui prête, au motif des situations antérieures où peut-être, sans doute, évidemment, il en a nourries… Et cette controverse que certains eussent aimé entretenir quant à la prise de position de MSF… Nos concitoyens ne s’y sont pas trompés puisque leur générosité n’a pas faibli. Ils savent qu’il faut mener, toujours, une analyse critique de l’action… mais le moment venu !

Quels rapports direz-vous avec l’hospitalisation publique française, qui est ou devrait être l’unique centre d’intérêt de DH Magazine ? Mais nous sommes en plein dans la problématique hospitalière ! La mondialisation de la santé est évidemment en marche, elle a commencé lorsque après la guerre 39-45 l’universalité du droit à la santé a été reconnue dans de nombreux pays. Nul doute qu’ouvrant la porte à des stratégies commerciales et à des appétits lucratifs, cette mondialisation n’ira pas sans aléas ni sans remises en cause brutales ou insidieuses des systèmes nationaux publics ou d’intérêt général. Néanmoins on peut penser que d’une évolution complexe et conflictuelle finira par émerger le patient mondial, alors qu’il n’est aujourd’hui reconnu que dans quelques contrées privilégiées.

Quant aux médias qui parfois parlent de nos établissements de telle sorte qu’ils nous agacent, nous amusent ou nous irritent, sachons voir, au-delà de leurs travers, la résonance qu’il donnent malgré tout à la santé publique. Et que leur propension à se fixer sur le détail secondaire, l’évènement spectaculaire, le fait divers navrant, n’altère pas durablement ni en profondeur l’attachement que nous porte l’opinion publique.