2014 02 03 : Quelque chose de Nelson Mandela

La vie et l’œuvre de Nelson Mandela furent si riches et denses qu’elles délivrent des dizaines de leçons dans l’ordre politique, philosophique et de la morale publique et privée.

Nombre de ces leçons sont spécifiques à son peuple, à sa culture, à son contexte historique, à l’Afrique et aux Africains et ne nous sont donc pas immédiatement transposables. D’autres sont importantes, actuelles et nous concernent directement, mais Nelson Mandela ne fut ni le premier ni le seul à nous les administrer.

Il en est une en revanche que je n’avais jamais reçue aussi intensément d’un autre personnage contemporain, ou alors j’y étais resté sourd : c’est celle du pardon.

mandela-saludaPardon difficile à concevoir si l’on se remet en situation : Mandela qui est emprisonné durant 27 ans, que l’on met au secret absolu, que l’on empêche d’assister aux obsèques de son fils, que l’on tente de faire disparaître dans les eaux noires de l’indifférence et de l’oubli, dont on massacre les camarades et amis, voilà qu’il pardonne à ces ennemis et qu’il demande à ses amis rétifs, qu’il ordonne à ses compagnons, une fois parvenu au pouvoir, de ne pas rechercher la vengeance et les règlements de comptes… Parce que c’est dans sa grandeur ; et aussi qu’il voit plus loin, l’intérêt supérieur de son peuple et de son pays.

Alors qu’ici, chez nous, présentement, on semble l’avoir oubliée cette leçon de Mandela ! Les dernières polémiques en administrent une preuve accablante.

En effet, s’il est utile et nécessaire : ● de débusquer les ennemis de la démocratie et des libertés individuelles derrière les diatribes d’un Dieudonné, des fanatiques de la Burqa, des nostalgiques impénitents du fascisme païen, du totalitarisme antireligieux ou de l’inquisition catholique ● de dénoncer les desseins déstabilisateurs de ceux qui inventent de fausses menaces comme le complot juif, les réseaux francs-maçons, ou la théorie du genre…

Par contre, c’est fauter contre l’intelligence et la cohésion sociale que de traiter par l’invective, l’insulte, ou même seulement par la violence verbale, les points de vue légitimes : ● de ceux qui croient au ciel et de ceux qui n’y croient pas ● des « traditionnalistes » qui veulent conserver la structure familiale telle quelle est, et des « modernistes » qui acceptent qu’elle se diversifie ● des « permissifs » qui ne sont pas choqués par les différentes manières de vivre sa sexualité et des « conservateurs » qui considèrent qu’hétérosexualité et conjugalité ont une supériorité intrinsèque ● des uns qui sacralisent la vie telle qu’elle vient, et des autres qui pensent que contraception, IVG et euthanasie sont des conquêtes de la liberté sur la nécessité ● des uns qui aspirent à la PMA et la GPA, là, maintenant, et des autres qui n’en veulent pas du tout, ou alors plus tard, après mûre évaluation philosophique et politique.

Cette faute contre l’intelligence et la cohésion sociale, on la pardonnera volontiers à ceux de nos concitoyens qui s’enflamment, s’indignent, s’animent, s’engueulent, car les points de vue en débat ne peuvent être uniquement rationnels mais portent (et c’est tant mieux !) une forte charge émotionnelle et affective…

Mais cette faute, j’ai du mal à en absoudre ceux dont la mission, le métier et le devoir sont d’aider à la formation des opinions : certains politiques qui ne reculent jamais devant une petite phrase ou un effet de menton, certains journalistes ou animateurs de télés ou radios qui ne craignent aucun simplisme, ou à-peu-près, ou scoop vaseux, ou buzz minable. Quand c’est sur la vie privée d’une personnalité que ces manquements s’exercent, on rigole ; quand c’est sur des sujets graves, on en est consterné : pourtant c’est exactement la même irresponsabilité pitoyable qui est à l’œuvre.

Alors donc, à ces politiques, journalistes, animateurs, je ne pardonne pas ; et j’administre exactement là… la preuve que, sur le chemin tracé par Nelson Mandela, j’ai beaucoup de retard à combler.

3 février 2014