Edito DH n° 93 janvier 2004 : La crise de l’hôpital ou la crise à l’hôpital ?

Dans le cours de l’année 2002 nous contestâmes à plusieurs reprises [1] l’alarmisme de nombreux médias soutenant que l’hôpital public était plongé dans une crise gravissime. Depuis, quelques lecteurs nous ont fait reproche d’avoir péché par excès d’optimisme.

En ce début 2004, incontestablement, les paramètres se sont aggravés. Pour autant nous maintenons qu’il ne s’agit pas d’une crise sans précédent de l’hôpital. C’est la société française qui traverse une épreuve comme elle n’en avait pas connu depuis la Deuxième guerre. Or il n’y a pas de « planète hôpital », au contraire : c’est à sa symbiose avec l’environnement social qu’on reconnaît un centre hospitalier en phase avec les besoins des citoyens. Alors notre institution capte tout. Ainsi les coquillages, pour le meilleur et pour le pire, filtrent et concentrent ce qui est en suspension dans le milieu marin. Inexplicablement, les nombreux consultants qui se penchent miséricordieusement au chevet de l’hôpital ne remarquent pas que la plupart des maux qui l’affectent lui viennent du dehors, ou du moins ne lui sont pas spécifiques.

Les cortèges contre les restructurations et fermetures ? Ils se formèrent bien plus avant et bien plus souvent à propos des bureaux de poste, écoles, perceptions et autres démembrements du service public soumis à rude épreuve.

La contrainte budgétaire ? Elle fut déplorée de tout temps et par tous : éducation, infrastructures, recherche, culture, défense… Elle n’est ici que la conséquence de la débâcle financière de l’assurance maladie, l’hôpital étant d’ailleurs devenu son enfant le moins prodigue. La crise démographique des professions médicales ? Elle fut méthodiquement organisée par la conjonction des théoriciens de la réduction de l’offre et des représentants des corporatismes libéraux.

La violence ? Bien avant de faire irruption dans nos services d’urgences, ses premiers méfaits à l’encontre des services publics visèrent médecins de nuit, pompiers, rondes de police, conducteurs de bus et enseignants des ZEP. La canicule ? On s’accorde à dire que face à cette tragédie les hôpitaux furent à la hauteur.

Un management hasardeux ? La ribambelle boulevardière des gestionnaires médiocres, mégalomanes ou délictueux livre en pâture nombre d’entreprises grandes ou petites, privées ou nationales, mais si peu d’hôpitaux que même nos confrères d’Horizon restent sur leur faim… Les rigidités administratives ? Mais à l’exception des collectivités territoriales qui jouissent d’une enviable liberté, quelle autre administration peut se flatter d’avoir autant évolué depuis les années 70 ?

Un syndicalisme en manque de vocations et de doctrines ? Comparez avec d’autres branches ! Les 35 heures ? Leur calendrier chaotique découla de tactiques politiques et leur mise en œuvre homérique s’imposa de l’extérieur malgré les mises en gardes venant de l’intérieur.

Le désenchantement des médecins et soignants ? Des facteurs internes certes l’amplifient, mais il faudra bien un jour évoquer sa cause essentielle : l’anachronisme des administrations d’Etat que les ARH n’ont que très partiellement pallié ; l’archaïsme absolu de la notion même de tutelle. La directive péremptoire qui tient lieu d’incitation, l’inflation réglementaire immodérée, la mise en demeure tatillonne. Et surtout ce sentiment profond, massif, violent, qu’à force de double discours et à rebours des textes décentralisateurs, on n’en finit pas d’éloigner les centres de pouvoir des lieux de l’action, de creuser le fossé entre décideurs et acteurs, de piétiner ici et maintenant le principe de subsidiarité que partout ailleurs, de la Pologne à l’Irlande, on érige en valeur fondatrice de l’Union européenne.

Cela dit l’hôpital a bien sûr ses carences spécifiques et ses insuffisances typiques, qui autorisent effectivement à qualifier la crise d’hospitalière. Les groupes et missions d’Hôpital 2007 les ont remarquablement identifiés, reste à espérer que les textes à venir ne dilueront pas trop le remède. Ces travers caractérisent une crise de croissance, une mue difficile et non ce paroxysme qui révèlerait la gangrène ou commanderait l’amputation. La crise est entrée à l’hôpital, mais c’est toujours à ses abords que se livrent les combats décisifs.



[1] éditoriaux de DH n° 83, 86 et 87