Edito H&T : Des médecins mercenaires ? Bon sang, mais quelle surprise !

Depuis trois jours, les medias répètent l’information en boucle : des médecins « mercenaires », intérimaires qui effectuent dans nos hôpitaux des missions sur poste vacant en se faisant payer en moyenne de 600 € à 800 € nets par journée de travail, trois ou quatre fois le tarif réglementaire, sont l’une des causes majeures du déficit de  l’hôpital public, car le surcoût global annuel serait de l’ordre de 500 M €.
Situation fréquente dans les petites structures où certains services, pour rester ouverts, reposent entièrement sur ces remplaçants (et dans certaines régions les « chasseurs de prime » réclament en moyenne 1500 € + véhicule, repas et hébergement !).

Olivier Véran
Certes ne boudons pas notre plaisir : qu’un rapport du député Olivier Véran fasse enfin éclater le scandale auprès du grand public, qui s’en plaindra ? Pas nous en tout cas ! Cela procure d’un coup à ce jeune député une belle notoriété ? Cela ne nous choque pas : ce représentant avait déjà manifesté son réel intérêt pour différents problèmes de santé publique.

Mais lorsque le respectable journal économique Les Echos, peu fanatique évidemment de tout ce qui ressemble à un service public, écrit que ce phénomène bénéficie d’une « véritable omerta », sans davantage préciser, de qui se moque-t-il ?

Car enfin, omerta de la communauté hospitalière ? Depuis au moins 20 ans, combien de congrès professionnels, FHF ou autres, n’ont signalé ce problème ? Parmi nous, les juristes ont encore en mémoire la jurisprudence Louis Omnès, ce directeur contraint de rémunérer de tels mercenaires pour assurer la continuité et la qualité du service public hospitalier, mis en cause par un contrôle financier local, mais heureusement « blanchi » par la Cour de discipline budgétaire et financière… en 1991 [i].

En 1991. Oui. Car cela fait 25 ans au moins que cela dure ! Je me souviens à ma prise de poste en région parisienne en 1989 avoir découvert ce problème qu’on dénommait « faire des ménages ». Nous en parlions ouvertement entre collègues des CH « non AP-HP » et de départements et régions proches de Paris, contraints à ce recours aux mercenaires, tandis que les grandes structures parisiennes, elles, attiraient plus facilement les talents médicaux…

Et lorsque ces mercenaires cumulaient  cette pratique avec des fonctions permanentes, au mépris de toute notion de repos réparateur, cela mettait gravement en cause la qualité, la continuité, la sécurité des soins, s’accompagnait alors d’un risque pour les malades, d’autant que le mercenaire ignore presque tout des procédures et habitus du CH qui le reçoit.

Omerta ? Pas chez les hospitaliers, donc. Mais « silence gêné », dirais-je avec plus de mesure, chez les « tutelles » d’avant-hier (DDASS, DRASS, MIDS et MIRS), d’hier (ARH) et semble-t-il d’aujourd’hui (ARS). Le directeur ou PH fâcheux était celui qui en parlait ouvertement dans un rapport ou dans une instance donnant lieu à procès-verbal (ou pire encore transcrite dans une délibération soumise à visa ou approbation !) Je me suis fait plusieurs fois taper sur les doigts pour l’avoir évoqué. Et quand un collègue se faisait allumer par le contrôle de régularité comptable, DDASS, DRASS, ARH et autres le laissaient aussi sympathiquement tomber que les passagers du métro tardif lorsqu’ils voient une passagère se faire importuner par un pochtron ou une racaille…

Rendons toutefois justice à une instance officielle qui ne se tut pas : l’IGAS qui en 2003 alerta sur cette dérive et le risque qu’elle se développe. Vous aurez bien sûr en mémoire comment, à la suite de ce rapport, d’énergiques et spectaculaires mesures furent prises pour délivrer l’hôpital public de cette calamité.

Car c’est bien l’hôpital public qui est victime et non pas coupable, évidemment ! Victime, et par répercussion ses médecins « normaux », et ses autres agents, et ses patients. Car les 500 M € que l’hôpital doit lâcher chaque année aux mercenaires, c’est autant qu’il ne peut donner à « l’armée régulière » des soignants, officiers, sous-officiers et soldats du service public pour défendre les populations « civiles » dont ils sont en charge.

Lorsque le représentant de l’ordre des médecins déclare sans rire « Nous contrôlons la déontologie des contrats passés par les médecins inscrits à l’ordre, mais nous n’avons pas de pouvoir sur leur rémunération », cela nous rappelle plaisamment tant d’élégantes esquives et de subtiles dérobades…

Mais notre sourire ébauché se transforme en énorme rigolade en apprenant, le 17 décembre, que la ministre de la santé a déclaré hier : « Il est quand même choquant que des médecins jouent des difficultés de recrutement que peuvent rencontrer certains établissements. Oui, je suis choquée de cette situation. Nous devons apporter de la régulation ». Donc avant-hier, la ministre ne savait rien ? Son administration centrale lui cache tout ? Son cabinet ménage sa sensibilité en filtrant les informations « choquantes » ?

Alors, puisque comme le souligne justement Gérard Vincent, délégué général de la FHF, à la base et à l’origine de tout cela, il y a l’absence totale de régulation de l’installation des médecins, chiche que notre ministre va publier, dans la quinzaine, un décret subordonnant le conventionnement d’un médecin à sa prise de poste dans une zone déficitaire…


[i] Jurisprudence confirmée à presque vingt ans d’intervalle par la CDBF, 16 avril 2009, Centre hospitalier de Fougères, hôpital bien connu de nos lecteurs par la qualité de la rubrique jurisprudence de notre ami Patrice ABLAIN, qui en fut le directeur jusqu’il y a quelques mois.